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Madeleine Delbrêl (1904-1964)

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          Madeleine Delbrêl naît en 1904 dans une famille indifférente à la religion. À l'âge de dix-sept ans, sa profession d'athéisme est radicale et profonde mais, en trois ans, à la suite de la rencontre d'un groupe d'amis chrétiens et de l'entrée chez les dominicains du garçon qu'elle aimait, elle prend en considération la possibilité de Dieu. Cette démarche, qu'elle fonde sur la prière et la réflexion aboutit à la foi à l'âge de vingt ans2. Le 19 mars 1924, « éblouie par Dieu », lors d'un passage en l'église Saint-Dominique de Paris (XIVe arrondissement), elle se convertit. 

Quelques mois avant sa mort, en 1964, elle disait encore : « J'ai été et je reste éblouie par Dieu. »

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          Par le scoutisme elle devient une assistante sociale très active, elle s'installe avec quelques amies et travaille dans la banlieue ouvrière, à Ivry-sur-Seine, seule municipalité communiste de France en 1933. Elle se confronte alors avec l'athéisme marxiste, n'hésitant pas, à contre-courant, à annoncer l'Évangile

Elle fonde une communauté de jeunes femmes qui se sont nommées « la Charité », avant d'être connues comme « Équipes Madeleine Delbrêl ». Il s'agit « d'y être le Christ » et non « d'y travailler pour le Christ ». La méthode ? rencontrer les gens où ils vivent, devenir leur ami, les recevoir chez soi, s'entraider.

En matière de travail social, elle rappelle la nécessité de développer des actions collectives en vue de faire évoluer les politiques sociales. 

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          Ses écrits révèlent « une très attachante personnalité humaine, d'abord. D'une extraordinaire capacité d'empathie, elle noue des relations personnelles dans tous les milieux. Elle s'engage à fond. Elle cultive la joie. Son humour est délicieux. Elle est libre. Elle dit ce qu'elle pense avec délicatesse mais fermement. Elle fait preuve d'une grande sûreté de discernement, d'une pensée rigoureuse. Sa personnalité spirituelle, sa théologie ont le même caractère : de solides fondations, de la vigueur et toujours ce centre qui unit tout : La Charité de Dieu manifestée dans le Christ. »

          Ce pourquoi, elle est pour certains l'une des personnalités spirituelles les plus importantes du xxe siècle.

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Un jour nouveau ( Alcide, p. 97)


Un jour de plus commence.

Jésus en moi veut le vivre.

Il ne s’est pas enfermé. Il a marché parmi les hommes.
Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui.

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Il va rencontrer
chacun de ceux qui entreront dans la maison,
chacun de ceux que je croiserai dans la rue,
d’autres riches que ceux de son temps,
d’autres pauvres,
d’autres savants et d’autres ignorants,
d’autres petits et d’autres vieillards,
d’autres saints et d’autres pécheurs,
d’autres valides et d’autres infirmes.
Tous seront ceux qu’il est venu chercher.
Chacun, celui qu’il est venu sauver.


A ceux qui me parleront, il aura quelque chose à répondre;
A ceux qui manqueront, il aura quelque chose à donner.
Chacun existera pour lui comme s’il était seul.
Dans le bruit, il aura son silence à vivre.
Dans le tumulte, sa paix à mouvoir. […]

Tout sera permis dans le jour qui va venir,
tout sera permis et demandera que je dise oui.


Le monde où il me laisse pour y être avec moi 

ne peut m’empêcher d’être avec Dieu;
comme un enfant porté sur les bras de sa mère 

n’est pas moins avec elle parce qu’elle marche dans la foule.

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Partout où nous sommes ( Alcide, p. 105)

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La solitude, ô mon Dieu,
ce n’est pas que nous soyons seul,
c’est que vous soyez là,
car en face de vous tout devient mort
ou tout devient vous.

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A quoi nous servirait d’aller au bout de la terre
pour trouver un désert ?
A quoi nous servirait d’entrer entre des murs
qui nous sépareraient du monde,
puisque vous n’y serez pas davantage
que dans ce fracas de machines,
que dans cette foule aux cent visages?

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[…] La différence, elle n’abîme pas la solitude,
car ce qui les rend, ces vies humaines, plus visibles
aux yeux de notre âme, plus présentes,
c’est cette communication qu’elles ont de vous,
c’est leur prodigieuse ressemblance au seul qui soit.


C’est comme une frange de vous et cette frange
ne blesse pas la solitude.

Savoir une seule fois dans la vie que seul vous êtes !
Avoir une seule fois rencontré
– et cela, peut-être, dans un véritable désert –
le buisson qui brûlait sans se détruire ;
le buisson de celui qui a instauré en nous, et pour toujours, la solitude.

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Moïse, quand il l’a une seule fois rencontré,
l’ineffable buisson,
a pu revenir chez les hommes
portant en lui un inaltérable désert.
Ainsi de nous,
ne reprochons pas au monde,
ne reprochons pas à la vie
de voiler pour nous la face de Dieu.
Cette face, trouvons-la,

c’est elle qui voilera, qui absorbera toutes choses.

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[…] Qu’importe notre lieu dans le monde,
qu’importe s’il est peuplé ou dépeuplé,
partout nous sommes « Dieu avec nous »,
partout nous sommes des Emmanuel.

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Pauvreté de celui qui va ( Alcide, p. 65)

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Il ne peut pas ne pas aller,
celui que votre esprit lie à vous.
Nous nous imaginons toujours que pour aller,
il faut des routes, des étapes, des pays qui changent.
Or, votre voie, ce n’est pas ça.
C’est la vie, tout simplement.
La vie qui coule,
et dans laquelle nous allons
si nos amarres sont levées.

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[…] A qui veut rencontrer à l’aise ces frères disparates
dont le monde est peuplé,
il faut une royale indifférence pour tout ce qui
n’est pas cette foi dénudée, essentielle,
qui lui fait perdre la mémoire et les goûts,
et sa propre originalité.
Cette foi qui nous rend banals
de cette grande banalité
que tous les saints ont acceptée,
et qui les a conduits jusqu’au bout de la terre.

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Car c’est un prix exorbitant, le prix de la pauvreté.
Elle s’achète du sacrifice de tout ce qui n’est pas le royaume des cieux.

Alors, nous trouverons intéressant tout ce qui intéresse les autres,
et vertueux des héroïsmes qui ne nous ont pas attirés,
et fraternels des gens qui ne nous ont jamais ressemblé.

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Alors, ceux qui nous rencontreront sur leur chemin
tendront des mains avides d’un trésor qui jaillira de nous;
d’un trésor libéré de nos vases de terre,
de nos paniers bariolés, de nos malles, de nos bagages,
d’un trésor simplement divin, qui sera à la mode de tous,
car il aura cessé d’être habillé à notre mode.

Alors nous serons agiles et devenus à notre tour des paraboles,
parabole de la perle unique, minuscule, ronde et précieuse,
pour laquelle on a tout vendu.

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